Donald Trump retrouve la Maison Blanche en janvier 2025. Son retour annonce un bouleversement de la politique étrangère américaine : remise en question de l’OTAN, pression sur l’Ukraine, confrontation avec la Chine. L’ordre international libéral vacille. Analyse d’une présidence qui pourrait redéfinir les équilibres géopolitiques mondiaux.
1) Le contexte
“Nobody has ever done more for Israel than I have.” La phrase, prononcée en meeting en octobre 2024, résume l’état d’esprit : Donald Trump ne revient pas à la Maison Blanche pour faire de la figuration. Le 20 janvier 2025, à 78 ans, il devient le 47e président des États-Unis et le deuxième de l’histoire à effectuer deux mandats non consécutifs après Grover Cleveland en 1893. Sa victoire contre Kamala Harris (312 grands électeurs contre 226) a sidéré les observateurs qui le donnaient pour fini après l’assaut du Capitole du 6 janvier 2021.
Mais ce retour s’inscrit dans un monde radicalement différent de 2017. La guerre en Ukraine fait rage depuis près de trois ans. La Chine de Xi Jinping s’affirme comme rival systémique des États-Unis. Le Moyen-Orient est en ébullition après les attaques du Hamas du 7 octobre 2023. Et l’Europe, traumatisée par la dépendance énergétique russe, cherche désespérément son autonomie stratégique.
Comme l’analyse Ian Bremmer, président du Eurasia Group : “Trump 2.0 ne sera pas Trump 1.0 - il revient avec moins de garde-fous institutionnels et une revanche à prendre.” La nuance est cruciale : entre 2017 et 2021, des figures comme James Mattis (Défense) ou H.R. McMaster (Sécurité nationale) tempéraient ses impulsions. Cette fois, l’équipe est triée sur le volet : Marco Rubio confirmé comme Secrétaire d’État (vote 99-0 au Sénat le 20 janvier), Pete Hegseth à la Défense (confirmé 51-50), John Ratcliffe à la CIA, et Pam Bondi au poste d’Attorney General. Loyauté absolue exigée, dissidence proscrite. Le poste de conseiller à la sécurité nationale est actuellement assuré par Rubio lui-même en intérim, après le départ de Mike Waltz en mai 2025.
OTAN : L’ALLIANCE EN DANGER ?
“Payez ou partez.” Le message de Trump aux Européens est brutal et il n’a jamais varié depuis son premier mandat. Depuis des années, il fustige ces alliés qui, selon lui, profitent du parapluie militaire américain sans en assumer le coût. L’objectif des 2% du PIB consacrés à la défense, fixé par l’OTAN en 2014, reste un point de crispation majeur : en 2024, seuls 23 des 32 pays membres atteignaient ce seuil. Les retardataires ? L’Espagne (1,28%), l’Italie (1,49%), le Canada (1,37%), la Belgique (1,30%), le Portugal (1,55%), la Slovénie (1,29%) et le Luxembourg (1,29%).
Trump ne se contente pas de critiquer. Lors d’un meeting en février 2024 en Caroline du Sud, il a raconté avoir dit à un dirigeant d’un “grand pays” qu’il encouragerait la Russie à “faire ce qu’elle veut” (“do whatever the hell they want”) avec les pays de l’OTAN qui ne respectent pas leurs engagements financiers. “Vous n’avez pas payé ? Vous êtes en défaut ? Non, je ne vous protégerais pas. En fait, je les encouragerais à faire ce qu’ils veulent. Vous devez payer vos factures.” Une déclaration qui a glacé les chancelleries européennes, particulièrement celles des pays baltes et de la Pologne qui vivent dans l’ombre de Moscou depuis la guerre en Ukraine.
Le secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg, a immédiatement réagi : “Toute suggestion que les alliés ne se défendront pas mutuellement affaiblit toute notre sécurité, y compris celle des États-Unis, et met les soldats américains et européens en danger accru.” Le spectre d’un retrait américain de l’OTAN, ou d’une réduction drastique de l’engagement US, n’est plus une hypothèse théorique : c’est une menace brandieL’Europe fait face à un dilemme existentiel : construire enfin son autonomie stratégique ou accepter une dépendance américaine aux conditions de Trump. Le problème ? L’autonomie stratégique européenne reste largement un slogan creux. Les budgets de défense augmentent certes - l’Allemagne a franchi le cap des 2% en 2024 pour la première fois depuis les années 1990 - mais les armées européennes restent fragmentées, sous-équipées, et incapables d’opérations majeures sans soutien américain. La guerre en Ukraine l’a cruellement démontré : sans les livraisons massives d’armes américaines et le renseignement de la NSA, Kiev aurait déjà capitulé.
Faut-il pour autant voir dans la posture trumpienne une fin de l’alliance transatlantique ? Pas nécessairement. Certains analystes soulignent que cette pression brutale pourrait être le coup de pied nécessaire pour forcer l’Europe à enfin prendre sa défense au sérieux. Le risque ? Qu’en fragilisant l’OTAN au moment où la Russie teste les limites du possible en Ukraine, Trump n’offre à Vladimir Poutine exactement ce qu’il cherche depuis des décennies : la division de l’Occident.
AMERICA FIRST” : LA GUERRE COMMERCIALE
“America First” n’est pas qu’un slogan : c’est une doctrine économique que Trump applique avec une brutalité méthodique. Son arme de prédilection ? Les tarifs douaniers, qu’il brandit comme un levier de négociation tous azimuts. Dès février 2025, quelques jours seulement après son investiture, Trump impose 25% de droits de douane sur le Canada et le Mexique, et 10% sur la Chine, invoquant l’urgence nationale liée au fentanyl et à l’immigration illégale. Mais ce n’est qu’un début.
Le 2 avril 2025, Trump frappe un grand coup : il décrète un tarif minimum de 10% sur absolument tous les pays, avec des “tarifs réciproques” encore plus élevés pour les partenaires avec lesquels les États-Unis ont les plus gros déficits commerciaux. Selon la Tax Foundation, ces mesures font grimper le taux moyen de droits de douane de 10% à plus de 23% - du jamais vu depuis les années 1930, en pleine Grande Dépression. La Chine se retrouve taxée à 30% minimum (avec des pics à 145% sur certains produits), l’Union européenne à 30%, le Brésil à 50%. Selon le Tax Policy Center, ces tarifs rapporteraient 2,3 trillions de dollars sur dix ans, mais coûteraient en moyenne 2.100 dollars par foyer américain en 2026.
La justification officielle, publiée par la Maison Blanche le 2 avril, est sans nuance : “Les États-Unis ont l’un des taux de tarifs moyens les plus bas au monde (3,3%), tandis que nos partenaires clés comme le Brésil (11,2%), la Chine (7,5%), l’UE (5%), l’Inde (17%) et le Vietnam (9,4%) imposent des taux bien plus élevés.” Trump dénonce également les taxes sur la valeur ajoutée (TVA) européennes, qu’il qualifie de “double peine” pour les entreprises américaines. Son message ? Traitez-nous comme on vous traite.
Les répercussions sont immédiates et brutales. Le Canada riposte en mars avec une surtaxe de 25% sur 30 milliards de dollars de produits américains. L’Union européenne annonce des représailles sur 21 milliards d’euros d’importations US dès avril, avant de finalement parvenir à un accord temporaire en juillet fixant le tarif européen à 30%. Selon JP Morgan, la croissance mondiale devrait ralentir à 1,4% au quatrième trimestre 2025, contre 2,1% projeté en début d’année, avec des récessions attendues au Canada et au Mexique.
Comme le note Michael Feroli, économiste en chef de JP Morgan : “Selon nos calculs, cela fait passer le taux de tarif effectif moyen d’environ 10% à un peu plus de 23%.” Une augmentation fiscale massive - la plus importante depuis le Revenue Act de 1968 - qui, selon la Tax Foundation, coûterait à chaque ménage américain 1.100 dollars en 2025 et 1.400 dollars en 2026.
Mais Trump assume pleinement. Il va même plus loin : en août 2025, il menace d’imposer 200% de droits sur les produits pharmaceutiques importés, 100% sur les films étrangers, et 50% sur le cuivre. L’objectif ultime ? Rapatrier la production aux États-Unis et réduire drastiquement le déficit commercial. Sauf que la réalité économique est plus complexe : les entreprises américaines répercutent ces coûts sur les consommateurs, l’inflation repart, et les partenaires commerciaux ripostent en taxant les exportations US.
Le pari de Trump est risqué : soit il force le monde à renégocier des accords plus favorables aux États-Unis, soit il déclenche une spirale protectionniste qui pourrait plonger l’économie mondiale en récession. Pour l’instant, quelques pays ont cédé : le Royaume-Uni négocie un tarif à 10%, le Japon obtient des exemptions. Mais la Chine, l’Europe et le Canada tiennent bon. Et entre-temps, c’est l’incertitude totale pour les entreprises, les marchés financiers, et les chaînes d’approvisionnement mondiales.
UKRAINE : LE GRAND MARCHANDAGE
“Je réglerai cette guerre en 24 heures.” La promesse, martelée 53 fois pendant la campagne selon CNN, résumait l’approche Trump de l’Ukraine : brutale, transactionnelle, détachée de toute considération morale. “Je connais Zelensky, je connais Poutine, ce sera fait très, très rapidement”, affirmait-il en mai 2023 lors d’un town hall sur CNN. Plus de 2.300 heures après son investiture le 20 janvier 2025, la guerre continue. Et Trump a fini par admettre à Time Magazine qu’il avait “un peu exagéré” pour faire passer le message.
Mais l’exagération cache une réalité plus inquiétante : Trump ne voit pas la guerre en Ukraine comme une agression russe contre un État souverain, mais comme un conflit à régler par un deal entre grandes puissances. Le 28 février 2025, lors d’une rencontre explosive à la Maison Blanche retransmise en direct, Trump et le vice-président JD Vance ont publiquement humilié Volodymyr Zelensky, l’interrompant à répétition, lui reprochant de ne pas vouloir négocier. “Vous devez vous mettre au boulot et commencer à accepter les choses”, a lancé Trump. La rencontre, censée aboutir à la signature d’un accord sur les ressources minérales ukrainiennes, s’est terminée sans résultat. Le lendemain, Trump suspendait l’aide militaire à Kiev.
En novembre 2025, l’administration Trump a présenté un plan de paix en 28 points qui ressemble trait pour trait à une liste de souhaits du Kremlin : cession de territoires ukrainiens, réduction drastique de l’armée ukrainienne, abandon de toute ambition d’adhésion à l’OTAN. Trump a donné à Zelensky un ultimatum : accepter avant Thanksgiving (27 novembre). “Jeudi, c’est la limite. Si les choses avancent bien, on peut étendre les délais. Mais jeudi, c’est ça”, a-t-il déclaré sur Fox News.
Zelensky a réagi dans une allocution télévisée poignante le 22 novembre : “L’Ukraine se trouve maintenant face à l’un des moments les plus difficiles de son histoire. Nous devons choisir entre perdre notre dignité ou risquer de perdre un partenaire clé.” En décembre 2025, Zelensky a présenté sa propre contre-proposition en 20 points : création d’une zone démilitarisée sous surveillance internationale, retrait russe de plusieurs régions occupées, garanties de sécurité calquées sur l’Article 5 de l’OTAN, et un “conseil de paix” présidé par Trump. Mais sur le point crucial - la cession territoriale du Donbass - aucun accord n’a été trouvé.
L’Europe observe, impuissante et inquiète. Lors d’une rencontre à Londres en décembre, le Premier ministre britannique Keir Starmer, le président français Emmanuel Macron et le chancelier allemand Friedrich Merz ont réaffirmé leur soutien à Kiev, insistant sur le fait qu’“aucune décision ne devrait être prise sur le sort de l’Ukraine sans sa participation”. Mais sans les États-Unis, l’Europe peut-elle vraiment empêcher un deal russo-américain aux dépens de Kiev ? La réponse est probablement non.
CONCLUSION : UN MONDE RECONFIGURÉ
Le retour de Trump à la Maison Blanche ne marque pas une simple alternance politique. C’est un séisme géopolitique qui ébranle les fondations mêmes de l’ordre international libéral bâti depuis 1945. L’OTAN, pilier de la sécurité transatlantique, se retrouve fragilisée par un président américain qui menace ouvertement ses alliés de les “encourager” à se faire attaquer s’ils ne paient pas assez. Le libre-échange mondial vacille sous les coups de boutoir de tarifs douaniers qui ramènent les États-Unis aux niveaux protectionnistes de la Grande Dépression. Et l’Ukraine, symbole de la résistance démocratique face à l’autoritarisme russe, se voit sommée d’accepter un accord qui consacrerait l’impunité de l’agression.
Les gagnants de cette recomposition sont évidents : la Russie, qui pourrait obtenir par la négociation ce qu’elle n’a pu conquérir par la force ; la Chine, qui observe avec satisfaction l’Amérique se désolidariser de ses alliés traditionnels ; et les régimes autoritaires du monde entier, qui voient dans le recul occidental une validation de leur modèle. Les perdants ? L’Europe, privée du parapluie sécuritaire américain et incapable de construire son autonomie stratégique ; les démocraties fragilisées, qui ne peuvent plus compter sur le soutien automatique de Washington ; et le multilatéralisme lui-même, remplacé par une logique transactionnelle où seul compte le rapport de force.
Pour la France et l’Europe, les questions sont vertigineuses. Comment défendre l’Ukraine sans les États-Unis ? Comment financer une armée européenne capable de dissuader la Russie quand les budgets sont déjà tendus ? Comment maintenir la cohésion de l’Union européenne face aux pressions américaines et russes ? Emmanuel Macron parle d’“autonomie stratégique” depuis 2017, mais les faits sont têtus : l’Europe reste dépendante de la technologie militaire américaine, du renseignement de la NSA, et de la dissuasion nucléaire US.
Reste une interrogation fondamentale : jusqu’où ira Trump ? Renégociera-t-il effectivement tous les accords commerciaux pour rééquilibrer les termes de l’échange ? Laissera-t-il Poutine dicter ses conditions en Ukraine pour se concentrer sur la Chine ? Quittera-t-il l’OTAN si l’Europe refuse de payer davantage ? Autant de questions sans réponse, car Trump lui-même cultive l’imprévisibilité comme instrument de pouvoir.
Une certitude demeure : le monde de 2025 n’est plus celui de 2017. La Chine est plus puissante, la Russie plus agressive, l’Europe plus divisée, et les États-Unis moins fiables. Le multilatéralisme coopératif cède la place à un ordre international fragmenté, où les grandes puissances négocient entre elles au mépris des petits États, où les alliances deviennent transactionnelles, et où le droit international ne pèse plus face à la loi du plus fort. L’ère Trump 2.0 pourrait bien enterrer définitivement le rêve d’un ordre mondial fondé sur des règles communes. Reste à savoir ce qui le remplacera.
soucres :
1. Ballotpedia - “Donald Trump’s Cabinet, 2025”
2. Wikipedia - “Second cabinet of Donald Trump”
3. Washington Post - “Tracking Trump’s Cabinet and administration nominations”
4. Deseret News - “Pete Hegseth was confirmed as secretary of Defense”
5. NPR - Articles divers sur nominations Trump
6. CNN Politics - Multiples articles sur administration Trump
1. Statista - “Defense expenditures of NATO countries as a percentage of GDP 2024”
2. NATO official website - “Defence Expenditure of NATO Countries (2014-2025)”
3. Visual Capitalist - “Which Countries Meet NATO’s 2% Spending Target?”
4. CBS News - “How much do NATO members spend on defense?”
5. Atlantic Council - “Who’s at 2 percent? NATO allies defense spending”
6. Forces News - “Which countries in NATO are paying their fair share on defence?”
7. Fox Business - “NATO countries agree to spend 5% of GDP on defense”
8. CNN (février 2024) - “Trump says he would encourage Russia to ‘do whatever the hell they want’”
9. NPR (février 2024) - “Trump says he wouldn’t defend NATO allies from Russia if they’re ‘delinquent’”
10. ABC News - “Trump says he’d ‘encourage’ Russia ‘to do whatever the hell they want’”
11. Washington Post - “Trump suggests he would refuse to honor NATO treaty”
12. PBS NewsHour - “Trump says he told NATO ally to spend more on defense”
13. NBC News - “Trump draws backlash after saying he’d let Russia attack NATO countries”
14. CNBC - “NATO leader says Trump puts allies at risks”
1. Tax Foundation - “Trump Tariffs: The Economic Impact of the Trump Trade War”
2. Wikipedia - “Tariffs in the second Trump administration”
3. Trade Compliance Resource Hub - “Trump 2.0 tariff tracker”
4. Congress.gov - “Presidential 2025 Tariff Actions: Timeline and Status”
5. Yahoo Finance - “Trump tariffs live updates”
6. JP Morgan Global Research - “US Tariffs: What’s the Impact?”
7. Tax Policy Center - “Tracking the Trump Tariffs”
8. Kiplinger - “Trump Tariffs Update: SCOTUS, New Levies and What’s Ahead”
9. NPR - “Confused about where things stand with Trump’s tariffs?”
10. White House - “Fact Sheet: President Donald J. Trump Declares National Emergency” (2 avril 2025)
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